Pour une francophonie vivante et populaire
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Publié le 22 mars 2007
Par
Nicolas Sarkozy, président de l'UMP.
La francophonie n'est pas
morte. Au cours des déplacements que j'ai effectués ces derniers mois à
l'étranger, j'ai été touché de sentir que, partout dans le monde, la langue
française bénéficie d'un prestige intact. Plus que jamais, cette ferveur nous
oblige. Car, face à l'anglais, le recul du français n'est pas une fatalité. Au
moment où nous célébrons le centenaire de la naissance de Léopold Sédar
Senghor, notre pays s'honorerait à rendre enfin à l'homme de la négritude et
fondateur de la francophonie, l'hommage qu'il aurait dû lui rendre au moment de
sa mort. J'ai été, dans la plus grande discrétion, le premier des responsables
politiques français à me rendre sur sa tombe. Je veux aujourd'hui solenniser
cet hommage envers celui qui a été l'un des artisans les plus dévoués du
rayonnement de notre pays. C'est pourquoi, je propose l'inscription de son nom
dans la crypte du Panthéon, aux côtés de celui de Charles Péguy et de Toussaint
Louverture.
Il faut revenir à une
francophonie conforme à l'esprit de Senghor. Pour cela, nous devons, nous
Français, nous impliquer davantage dans cette francophonie dont les
porte-parole sont parfois des auteurs étrangers, eux qui se retrouvent
courageusement, mais si seuls, à la défendre, à la place de ceux qui auraient
dû en être les véritables avocats : les Français eux-mêmes. Et d'abord, la
jeunesse, elle qui, à ce jour, n'en perçoit pas toujours l'utilité.
Je veux qu'on enrichisse les
programmes scolaires d'un volet francophone significatif et que, dans les
villes, on crée des maisons de la francophonie, lieux vivants d'arts et de
culture, où les jeunes pourront « toucher du doigt » l'originalité des cultures
francophones. Il est également important de leur permettre de découvrir la
richesse des cultures du Sud avec un service civique assorti d'un volet
francophone.
La jeunesse française issue de
l'immigration aurait toute sa place dans ce dialogue des cultures, puisque la
langue française a été aussi chantée par des écrivains originaires du Maghreb
et d'Afrique subsaharienne. Ce n'est pas un hasard si, parmi les derniers pays
que j'ai visités, le Sénégal et l'Algérie ont offert à notre Académie deux des
plus fervents amoureux de la langue française, Assia Djebar et Senghor.
Dans l'enseignement supérieur,
il est urgent de commencer à réfléchir à la création de chaires francophones,
quasi inexistantes en France, afin de retenir des talents littéraires comme
Maryse Condé, Alain Mabanckou ou Achille Mbembe, qui ont fini par s'exiler aux
États-Unis. Le coeur et l'avenir de la francophonie sont de moins en moins
français, mais, paradoxalement, de plus en plus anglo-saxons. La francophonie
sauvée par l'Amérique ? Un comble !
Une langue véhicule aussi un
message politique, une certaine vision du monde. Lorsqu'elle est parlée par des
peuples aussi divers que ceux du Liban, du Niger ou du Vietnam, la langue
française est le récit d'une communauté de destin entre « nous et eux ». Je
déplore que, quelquefois, elle soit confisquée par des réseaux prenant prétexte
de la défense de la langue française pour promouvoir leurs intérêts privés.
Tant que la francophonie sera
suspecte de tels relents, les peuples seront méfiants à son égard et seront
tentés de rejeter le bébé (la France) avec l'eau du bain (la francophonie).
Car, à l'origine, la francophonie n'est pas un concept colonial, au contraire.
Pour ne pas être suspecté de néocolonialisme, le général de Gaulle avait
commencé par s'en méfier avant que Léopold Sédar Senghor ne la définisse comme « fille de la
liberté et soeur de l'indépendance », comme une « symbiose culturelle entre
États ayant le français en partage et qui est d'autant
plus humaine parce que d'autant plus riche, qu'elle unit les valeurs les plus
opposées ».
En France, il faut en finir
avec la vision jacobine d'une francophonie qui écrase et qui assène : il n'y a
pas lieu d'opposer le français aux « langues de France ». Comment revendiquer,
face à l'anglais, l'exception culturelle et ne pas l'admettre pour nos propres
cultures régionales menacées de disparition ? Les langues locales, y compris,
outre-mer, le créole, doivent pouvoir être proposées aux écoliers dans les
territoires où un nombre suffisant de parents le souhaite.
Du local au global, la
francophonie franchit allègrement les frontières, mais sans toujours savoir où
elle va.
Nous devons l'imaginer comme
un moyen pour la langue française de tenir tête à l'anglais sans complexe. Cela
suppose que nos administrations s'adressent aux organismes internationaux en
français et que le français, langue du droit, soit la langue de référence des
textes européens.
L'élargissement vers l'est de
l'Union ne doit pas remettre en cause notre partenariat privilégié avec les
pays du Sud. En ce sens, la ratification, par la France, il y a quelques jours,
de la Convention internationale pour la diversité culturelle, doit permettre
qu'à côté du français, les langues locales aient droit de cité, notamment en
Afrique : malgré ses
difficultés actuelles, le continent noir peut, par ce dynamisme linguistique
hérité de son histoire précoloniale méconnue, apporter une contribution
précieuse à la production des valeurs universelles.
http://www.lefigaro.fr/debats/20070322.FIG000000021_pour_une_francophonie_vivante_et_populaire.html
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